in some version of this story (monroe)

i might have wished you
more honest, but then

what would we have had in common?

Le téléphone vibre alors qu'elle glisse les fesses sur le siège conducteur. L'impeccable tissu de la jupe plissée s'accroche aux rapiècements de l'assise en cuir qui a une génération d'avance. La voiture entière offre un charmant contraste avec son occupante, délicate et immaculée, le paraissant d'autant plus dans le truck cabossé de son grand-père. Usure qui, dans sa bouche à elle, revêt le nom de patine. Le luxe feutré qui, s'il n'est pas décerné au berceau, se façonne facilement avec quelques artefacts et le bon vocabulaire. Push notification sur le fond d'écran, le nom de Romy s'affiche et se pare de miel pour réclamer un service. Dulcie parcourt d'un œil distrait, rassemble rapidement l'essentiel. Le club de vertu ayant lancé l'initiative d'un match de dodgeball pour la bonne cause et ayant réussi à obtenir que chaque upperclassman soit obligé de contribuer un peu de son temps à défaut de sa bonne volonté, des paires aléatoires ont été formées pour les différentes taches. La Royale Romy, soudainement occupée ailleurs, veut échanger son slot. Dulcie ne se fait aucun doute quant à l'occupation en question, dont l'intitulé commence probablement par boy et finit par friend, et si elle a du mal à comprendre ce qui, dans l'apathie Villin, peut bien réclamer une telle urgence, elle a au moins la candeur de se rendre compte qu'il y a dans un couple plus d'une politique qui lui échappe. Dulcie accepte de dépanner sans se poser de question, moins par serviabilité spontanée que par connaissance de la politique. Tout est à charge de revanche et dans un monde où une amie est puissante et l'autre est frondeuse, une faveur offerte par Romy, ou par le club en général, est une denrée précieuse. Elle cliquète sur l'écran, sure thing, but you owe me et s'enfonce dans le siège. La tranche de Tess of the d'Urbervilles pincée entre les phalanges et hissée hors du sac, Dulcie l'ouvre au marque-page, allonge la tranche contre sa jupe. Établit une alarme sur son téléphone, 17h30 pétantes, car la ponctualité est la politesse des rois alors, à défaut d'un carrosse...

Chapitre dix, le parking du lycée désemplit. Chapitre douze, la lumière décline. Au quinzième chapitre, des phalanges s'abattent contre sa vitre —juste une copine qui lui dit au revoir— et elle sursaute violemment, le palpitant logé dans la gorge battant un rythme martial. Dulcie, absorbée, lit moins une tragédie amoureuse qu'un manuel d'instruction : comment être la femme parfaite d'Angel Clare, pristine et pure. En retire une morale aléatoire qui dit : sans doute qu'elle parviendrait à être aimée si seulement elle appartenait à l'époque victorienne. Lorsque l'alarme polyphonique sonne, elle ferme le livre comme si c'était lui qui avait hurlé. Coupe la mélodie et lève les yeux vers le pare-brise, cherchant une silhouette au point de rendez-vous communiqué par Romy, aka les marches devant la porte d'entrée. Elle le voit immédiatement, à quelques mètres de son capot, et plisse les lèvres. La silhouette laisse peu de place au doute ; elle déteste que l'angle de son épaule lui soit si familière, mais il l'est. Officiellement, pour être sûre de son identité —plus probablement out of sheer spite— elle allume les agressifs phares du pick up et l'inonde de lumière. Plus une once de doute, et le moral rendu fébrile par Thomas Hardy se rigidifie. Reste en négatif, mais moins friable. Plus combustible. Elle ignorait que le partenaire assigné à Romy était, of all people on God's green earth, Monroe. Selon toute probabilité, Romy l'ignorait aussi, ou elle n'aurait jamais envoyé Dulcie au casse-pipe. Elle récupère le téléphone sur le tableau de bord et pianote un addenda à son message précédent : you owe me BIG. Glisse l'appareil dans la poche de son messenger bag et, dans un soupir à fendre l'âme, ouvre la portière et saute au bas de l'habitacle, trop haut pour elle. "Hello, Dick-son," la langue appuie la première syllabe ; en bonne Daughter of Virtue, l'insulte repose sur un vide juridique et un regard fermé ; verbalement, tout est question de plausible deniability. "Let's get this over with. We've got to hit Main Street before it closes." À la recherche de sponsors parmi les commerces locaux prêts à faire des dons pour la bonne cause, ils ont une poignée d'enseignes à qui aller faire les yeux doux avant d'avoir l'autorisation officielle d'en rester là et call it a night. Dulcie coule un regard jusqu'à sa voiture à lui, cinq emplacements plus loin, les naseaux effilés et l'affluenza évidente. "I guess we should take two cars. I wouldn't want to throw myself at you again." D'un point de vue purement logique, la proposition ne l'est pas. Ils devront de toute façon repasser devant le lycée tous les deux pour rentrer chez eux mais who could blame her. La dernière fois qu'ils se sont retrouvés en tête-à-tête dans un espace clos, le lycée entier a fini avec une fanfiction.

Il les regarde, tous un par un. L’intello de la classe qui noircit frénétiquement sa feuille comme si tout son GPA était sur la ligne. Le gros branleur attitré qui est plus intéressé parce qu’il se passe par la fenêtre que par ce qu’il se passe sur son bureau. Puis les autres, qui se prennent la tête dans les mains, qui écrivent puis gomment puis qui écrivent. Monroe les observe.. Et se demande ce qui voltige et virevolte à l’intérieur de leurs cerveaux saveur hormones/puberté. Monroe adorerait se dire qu’il a ce sentiment d’appartenance quand il regarde ses petits camarades mais il l’a pas. La seule chose qu’il voit c’est les différences. De couleur, de formes, d’avenir, de fréquentations, d’espoirs, de préoccupations. Il aimerait être assez con pour ne pas avoir en avoir conscience mais Dieu ou un truc du genre l’a doté d’un cerveau plutôt efficace et il n’a pas cessé de se torturer depuis. Ignorance is bliss, comme ils disent. Parfois il aimerait être con comme un poteau.
Ce contrôle d’histoire parait durer huit plombes. L’aiguille sur l’horloge blanche accrochée au dessus du tableau n’arrange rien. Rythme le flot de son ennui. Fucking Finley leur a foutu un contrôle en dernière heure, sûrement dans l’espoir qu’ils foirent tous. La journée a été longue, chaude. C’est le timing parfait qui vous tient la main jusqu’à l’échec. Ca fait longtemps que l’Adderall ne fait plus effet dans le système de Mod et il peut sentir son attention faillir encore et encore. Dieu merci il a déjà coché toutes les réponses. Sa mémoire à toute épreuve l’a encore une fois sauvé de l’impasse. A sa droite, un camarade de son équipe de foot copie ses réponses nerveusement, jetant des coups d’oeil rapide au professeur, angoissé de se faire prendre. D’habitude, Mod aussi serait stressé à l’idée de se faire choper mais aujourd’hui il en a rien à foutre. La seule chose qu’il veut c’est de l’air, il étouffe dans cette putain de classe. Et le pire est à venir.

Lâcher d’ados privilégiés, l’heure de rentrer dans les baraques immenses avec piscines à débordement ou condos privés Downtown. L’embarras du choix, c’est le luxe des riches. Sa propre piscine devra attendre, ce soir il est de corvé. Il faudra arpenter la ville à la recherche de sponsors pour ce putain de match de dodgeball. Qui joue encore au dodgeball sérieusement ? Lui et d’autres membres avaient réclamé un match de Lacrosse, à la limite, mais ça n’avait pas suffi aux yeux de McKinley, ce putain de prof qui en faisait qu’à sa tête. Tu parles d’une putain d’âme charitable. Le soleil décline, transforment les iris chocolat de Mod en caramel. Il est en train de dévaler les marches, les yeux rivés sur son portable lorsqu’une notification vient interrompre sa lecture des messages qu’il a loupé dans le group chat de l’équipe de foot. “I can’t make it tonight, sorry. Your new partner is waiting for you on the parking lot. Look for a pickup and a tiny waist” Il a peine fini de lire le message que deux phares l’aveuglent. Une silhouette mutine descend du monstre de taule et surprise. La taille est tiny for sure, et les mots aiguisés. "Fuck me", qu’il souffle. Dulcie Gutts ? Sérieusement ? Parmi toutes les nanas du lycée, il avait fallu que ça soit Dulcie Gutts ? Mais on est en public là, pas le temps de se laisser aller. Mod se pare de son sourire le plus arrogant. “Hi Butts-feeling. How is it going?” A l’intérieur, il en crève. Les deux prochaines heures allaient être putain de longue. Il avait oublié à quel point elle était petite et mince. Il la voyait tous les jours dans les couloirs pourtant, mais la plupart du temps il se concentrait pour pas la regarder. Elle était juste censée être une conquête dans son palmarés. Puis aussi, fallait le dire, lui accorder un seul regard s’accompagnait d’une culpabilité rongeante franchement désagréable. “I actually carpooled this morning so you’re gonna have to do the driving.” Il lui laisse même pas le temps de répondre qu’il contourne le pick up pour poser son cul sur le siège passager. Sa caisse sent l’air marin et le jasmin. Quelle surprise. Alaina Castillo se plaint d’un mec à la radio, en sourdine. “So how’s life? What’s new? Nice… thingy.” qu’il dit en pointant du doigt l’espèce de gri gri qui pend à son rétroviseur.

Trop hypocrite pour apprécier le taste of her own medicine, le surnom saveur collège dont il l'affuble vaut à Monroe un froncement scandalisé des sourcils, accompagné d'un regard panoramique rapide aux alentours pour s'assurer que personne ou personne d'important —same difference— n'en a été témoin. La perspective de partager les prochaines heures avec lui et son infernal petit sourire de golden boy est plus qu'elle ne peut en tolérer. L'eau sous les ponts n'a rien érodé. Drapée dans sa seconde main robuste et pseudo-glamour, dans ses histoires d'un siècle et demi et ses principes surannés, Dulcie aime l'ancien. Elle respecte la conservation. Ça ne vaut pour rien autant que l'art subtil de hold a grudge. En ce qui la concerne, il est l'ennemi numéro un. L'affront n'a pas pris une ride. Sa rancune ne s'est pas adoucie avec l'âge. Elle a macéré. La question reste sans réponse parce que l'expression scandalisée est suffisamment explicite ; how's it going : not well. L'horreur se dégrade un peu plus lorsqu'il annonce la cohabitation forcée dans l'habitacle qui, bien que spacieux, ne l'est tout de même pas suffisamment pour rendre tolérable l'idée de partager de l'oxygène avec lui. Dulcie coule un regard à ce qu'elle pensait être sa voiture, agressive et masculine, quelques mètres plus loin. Ignore si elle le connait mal ou s'il ment. L'historique l'a suffisamment avertie à l'égard des deux options ; ergo, elle n'en élimine aucune. Elle voudrait protester mais il s'est déjà glissé sur le siège passager et elle s'empresse d'ouvrir sa portière, inquiète à l'idée de le laisser seul ne serait-ce qu'une seule seconde errer dans son territoire sans supervision. Il n'attend même pas avant de devenir nuisible, joue les fléaux d'entrée de jeu. La médaille de la Vierge Miraculeuse en émail qui protège ses trajets et, de façon plus large et clémente, les récoltes d'oranges chaque année, qualifiée de "thingy". Dulcie tique. Mais décide, par grandeur d'âme, de laisser couler. De ne répondre qu'au strictement nécessaire. Elle pivote dans son siège, se tourne vers lui. Le cuir crisse. "We’re not friends." Un sourire poli et rigide —la courtoisie eerie des poupées de cire. Dans la voix, toute la douceur promise par son prénom, le sucre de la prédestination, fluette et basse. "Don’t try and make yourself feel better by pretending that we are. You ruined sophomore year for me." L'expression est lissée à outrance, tant qu'elle en devient menaçante. L'évidence que Dulcie n'est pas prête à reconnaître tout haut mais qui n'en crève pas moins les yeux, c'est que tout ça, c'est à cause de lui. Le club de vertu, les extravagants dons de temps et d'énergie à la Bonne Cause, les jupes pile à la longueur requise par le dress code non-appliqué et pas un centimètre en dessous, c'est à cause de lui. L'adolescence entière passée à avoir l'air irréprochable, par contre-attaque rétroactive. Ses airs de Mary Sue sont contrôlés au millimètre, ou tentative de salvage a reputation parmi les bribes que les mensonges de Monroe ne sont pas parvenus à atteindre. "This," geste désignant de manière floue lui, le tableau de bord ; métaphoriquement, les circonstances du covoiturage forcé, "is important to me, ok? Do. not. ruin this." Satisfaite que son avertissement soit passé, Dulcie retourne à son volant, aux clés qui toussent dans le contact, déterminée à ne pas laisser le regard silencieux de Monroe lui donner honte de son shabby chic ambiant. Préjugé justifiable et justifié, elle n'espère même pas pouvoir compter sur son aide, le voit comme un malgré plutôt qu'un avec —aucun doute quand au fait qu'il a juste montré son nez pour faire acte de présence et pouvoir rayer son nom de la liste. Cataloguer les contreparties qu'elle va pouvoir extorquer à Romy en échange de la situation, toutes aussi extravagantes que la torture qu'elle lui fait vivre, est un réconfort efficace. Jetant des coups d’œil furtifs aux alentours pour s'assurer que leur duo aberrant n'a pas été vu, Dulcie manœuvre le pick up en dehors du parking dans des mouvements anormalement raides. "I've got the list," businesslike, désignant de l'index l'A4 photocopiée pliée en deux sur le tableau de bord. "What place do we need to hit first?" Si l'idée de l'abandonner sur le parking et de gérer la mission seule est tentante, elle n'a aucun doute quant au fait que la B.A. relève pour lui de la corvée. Et plutôt mourir que de lui offrir une easy way out.

S’il ferme les yeux et qu’il se concentre un peu, il arrive à se souvenir de cet été-là comme si c’était hier. Il revoyait la fleur accrochée derrière son oreille qu’il avait cueilli pour elle, le parfum de ses cheveux chatouillaient encore ses narines et il pouvait sentir son souffle sur son visage tandis qu’elle répondait ses secrets. Elle savait parfaitement ce qu’elle faisait à l’époque. Elle savait très bien qu’elle suscitait tout le désir du monde et que Mod en était devenu son esclave. En même temps qu’est-ce que vous voulez attendre d’un ado de quinze ans gosse de riches biberonné au porno ? Bien sûr qu’il s’imaginait que les sourires mutins et les volants de jupe de Gutts était une invitation à la plus jolie parade de l’été. Il avait cru jusqu’à la dernière minute qu’il réussirait à l’avoir. Il en connaissait pas beaucoup sur les nanas mais il ressentait un truc et il aimait penser qu’elle le ressentait aussi. Cette sensation chaude et chatouilleuse dans le bas-ventre ne pouvait pas être à sens unique. Il s’y imaginait déjà. Là dans sa petite cabane qu’il partageait avec deux autres gars, deux autres gars qu’il avait proposé de payer s’ils acceptaient de lui laisser la piaule à lui seul pour une nuit. Il se souvenait même avoir prétendu être malade pour qu’un des moniteurs l’emmène à l’infirmerie, pendant que Gary ou Barry (il avait jamais réussi à se souvenir de son nom) lui cherchait du paracétamol, Monroe était partie à la recherche de capotes mises à disposition des ados en chaleur qui peuplaient le camp. Il était rentré bredouille mais avec la ferme intention de conclure. L’été s’était terminé et Dulcie était rentrée sans rien lui laisser si ce n’est un goût d’inachevé. Goût qu’il s’était enlevé de la bouche en répandant la pire rumeur qu’on puisse lancer sur une fille de quinze ans accro à sa Bible et son grigri saveur Vierge Marie.

Fast-forward à maintenant, Gutts lui fait un petit rappel de couleur simple et efficace. They’re not friends. Monroe a envie de rétorquer qu’ils l’ont été, autrefois, mais son bon sens le stoppe dans son élan. Il tourne la tête et déglutit quand elle lui rappelle qu’il a ruiné une année entière de sa vie. La vérité, celle qu’il essaie de cacher c’est que Monroe a beaucoup de mal à jouer ce rôle de composition qu’il s’est imposé pour rester le “mec cool”. Quand il repense à ce qu’il lui a fait, il a l’impression d’avoir fait quelque chose de semblable à vendre son âme. Pour la popularité, pour la gloire. Pour pas passer pour un tocard dans les vestiaires. “High schools sucks, we’re all trying to get through it.” qu’il marmonne. Et c'est vrai. Le lycée étai un putain de cauchemar qui se répétait en boucle jusqu'ici. La seule lumière au bout du tunnel, c'est la cérémonie de graduation. Puis il partira vers de nouveaux raisons, aux couleurs d'une Ivy league, il l'espère. Il doute qu’elle l’ait entendu car maintenant ils roulent à vive allure en direction de Northside et le vent s’engouffre par les fenêtres, emmêlant les cheveux noirs de Mod. “Let’s start with Blue Daisy, i’m craving for an Iced Macha and a croissant.” Il sent le regard noir de Dulcie sur lui et tente de se justifier. “Eh I’m a big guy!” Il sort son téléphone de sa poche et scrolle nonchalamment sur instagram tandis que la route défile. Se donner une contenance, c'est un peu devenu son sport préféré. La vérité, c'est qu'il est intimidé par sa présence et qu'il aimerait trouver quoi dire. Alors il se contente de ce qu'il connait. La nonchalance.  “Also you need to do the talking, I have social anxiety.”

Vingt minutes plus tard et un croissant à moitié enfourné dans la bouche, ils se dirigent vers l’épicerie bio au coin de la rue. Mod aime bien y aller, y a des plantes partout et tous les jeudis ils collaborent avec la bakery de l’autre côté de la rue et propose des donuts homemade qui le faisaient saliver rien qu’en y pensant. Les proprios étaient un petit couple de vieux, lui était grincheux, elle, un vrai rayon de soleil. “I hope the old grumpy guy is not on duty. His wife is way nicer than he is. You go first. Kill him with your catholic kindness.” L’épicerie est déserte, on dirait bien qu’ils sont sur le point de fermer. Le petit vieux va adorer se faire emmerder à trente minutes de la fermeture.

Les yeux rivés sur la route avec un acharnement dévot, Dulcie fait les comptes. Hésite entre les deux personnalités qu'elle se voudrait, la madone et la vengeresse, pas certaine de celle dont la présence est le plus facilement justifiable dans l'immédiat. Les compare studieusement au moodboard mental de son self idéal. Entre do no harm et take no shit, elle sait celle que, dans cinq ans, en flash back introspectif, elle voudra avoir été. Elle sait aussi celle qu'elle préfèrera raconter demain, annotant ses déboires de la veille auprès de Sasha dans toute la torture des détails. Dulcie, mauvaise conductrice mais good storyteller, prend l'angle trop large, occupée à cataloguer d'ores et déjà les adjectifs précis qu'elle utilisera pour décrire le moment. La nonchalance de Monroe, l'angle de son dos sur le siège passager, l'atmosphère dans l'habitacle qui, manifestement, n'est pesante que pour elle. Prouvant une bonne fois pour toutes qu'un mec, au relationnel pataud par nature, est aveugle aux nuances. Et surtout, surtout, elle mesure toute la bile qu'il lui faudra utiliser pour décrire l'insulte de sa désinvolture. Qui n'a aucun problème à la placer en dommage collatéral ; puisqu'elle est fille, elle est moins une personne qu'un means to an end. Pas une once de remords dans le baryton blasé. Et dire qu'elle avait jadis un crush sur cet abruti. Ugh. Puisque Dulcie n'a rien à répondre qui soit à la fois mature et pertinent, elle serre les phalanges autour du volant et prétend n'avoir rien entendu. Augmente le volume de la radio et la vitesse de la voiture, espérant que la symphonie le noie lui. Il parvient pourtant à étaler ses priorités bancales et l'étendue de toute son inutilité. Merveilleux. Ça fait d'elle, très officiellement, le poster child du no good deed goes unpunished. Cue le soupir agacé et le tut tut tut désapprobateur. Qui ne fait que prendre en légitimité tandis que, entre bruits de portières et celui de ses ongles sur le porte-document vaguement professionnel en plastique, Monroe appuie son statut de poids mort. Loud and clear: il n'est ici pour rien d'autre que pointer ses deux heures de bénévolat sans enthousiasme, qu'il parviendra sans aucun doute à placer dans son dossier  de candidature à l'université, un roi de l'abnégation nulle part ailleurs que sur papier. Quelque part dans son dos, il fait des miettes de pâte feuilletée sur le carrelage tandis qu'elle expose son plaidoyer poli au nom du club. L'impression de se traîner un nourrisson encombrant ne l'empêche pas d'obtenir quelques dollars de bonne volonté, qui ne parviennent à lui insuffler un peu d'optimisme que jusque la devanture suivante. La nuque pivote abruptement vers lui, les cheveux fouettant l'air. Comment ose-t-il. Elle l'épingle avec son sourire le plus saccharin, lèvres rosées scellées devant des dents qui grincent. "Stay this useless and I just might kill you with my catholic wrath." Par habitude et par réalisme, avant preuve explicite du contraire, Dulcie voit toute référence à sa religion comme une insulte. L'adolescence moderne se conjuguant si mal à la piété, ça a été si souvent utilisé contre elle qu'elle a longtemps arrêté de tendre l'autre joue. Ouvrant la porte et la marche —obéissant ainsi aux ordres de Bad Cop L'insupportable— Dulcie se glisse à l'intérieur de l'épicerie, Monroe sur les talons, arborant son sourire le plus angélique. Ils sont accueillis par un grommellement et une réalisation ironique au dessus d'un regard presque (*gasp*) complice : old grumpy guy it is. Dulcie le salue, des années de pratique de courtoisie dans la voix cristalline, avant de désigner Dixon d'une paume. Fille unique, cela ne l'empêche pas de dégainer son little sister move le plus létal. "My friend has something to ask you." Elle force le trait jusqu'à glisser une main dans le dos de Mod et le pousser vers le comptoir. "Come on Monroe. Don't be shy. I told you this nice gentleman was not that scary. Nor grumpy for that matter." Sourire indulgent adressé à l'épicier, comme s'il était in on the joke avec elle et pour un moment, il l'est. Elle pousse le vice jusqu'à tapoter Monroe sur l'épaule, rayonnante de bienveillance en carton. Madone, vengeresse, find a girl who can do both.

La menace s'abat et Mod pince les lèvres. Il peut pas dire qu'il l'a pas vu venir celle-là, faut dire que jusqu'ici il avait pas fait grand chose si ce n'est se goinfrer. L'épicerie est sa chance de se rattraper mais il connait le proprio et il avait pas super envie d'affronter son humeur de merde. Il se souvient de cette vieille branche en train de hurler sur lui et ses potes quand l'un d'entre eux lui avait présenté une fake ID. Le vieux s'était offusqué, et les avait menacé d'appeler les flics ce qui avait suffi aux ados pour se carapater comme un vol de pigeons. Alors il jette Dulcie en pâture, pensant que sa bouille d'ange ferait le taff. Après tout, il était le seul à savoir qu'une autre facette de Gutts-feeling existait. Il l'avait vu cet été là au Summer Camp. Et on était loin de l'enfant de choeur. Et pourtant, il n'avait quand même pas eu la présence d'esprit d'envisager que l'appât puisse se muer en prédateur en un battement de cil. Voilà qu'elle le fout dans une situation délicate. Ses yeux s'écarquillent, son cerveau se met en branle.  Comment avait-il pu ne pas le voir venir ? "Very holy of you", qu'il marmonne avant de se rapprocher du comptoir à petit pas. Comme si le vieux avait une bombe cachée sous son gilet. Monroe avait le sentiment que ce mec là était le dernier mec qui leur donnerait de l'argent. D'ailleurs rien qu'à voir le regard circonspect qu'il lui donne, Monroe peut dire qu'il le porte pas dans son coeur. L'incident des fakes ID est vieux de trois ans, Mod a prit une bonne quinzaine de centimètres depuis mais il est surpris qu'il ne le reconnaisse pas. "What is it for? I have better things to do so spill the beans, kid." Mod déglutit, il est tout sauf confrontational. Il déteste le conflit, il ne joue des poings qu'en cas d'extrêmes circonstances. Et même un petit vieux derrière son comptoir arrive à le terroriser. Un putain de paillasson. "Well here's the thing, we're looking for sponsors for... Poor kids. Very poor kids. You know these kids who don't have moms and dads, and who lives on Costco donations? We're talking about these kids." Il regrette immédiatement ce qu'il vient de dire. Un putain de mensonge à la con. C'est toujours comme ça, il finit toujours par mentir dans une situation qui ne le demande pas. Ca sort tout seul, une sorte de diarrhée verbale fantasmagorique qu'il ne peut contrôler. Dulcie en a fait les frais, elle connait.

Le vieux les regarde dubitativement pendant ce qu'il semble être une éternité. On peut presque entendre son cerveau grésiller derrière ses deux yeux vitreux. Pendant un instant, Mod se demande à quel moment on devient un vieux con chiant et grognon comme ce mec. A quel moment est-ce qu'on devient aussi... vide ? Monroe a retenu sa respiration sans même s'en rendre compte, il arrive pas à croire ce qu'il vient de dire. Mais après tout, lui aussi est un gosse adopté, ça lui offre une sorte d'immunité n'est-ce pas ? Il soutient le regard du propriétaire de l'épicerie. ."And so what's the name of this association or whatever it is?" Mod répond sans même réfléchir. "House of the rising sun." Osé. ."Like the song?" Merde, il est bon."Yeah, like the song. Easier to remember you know." Il continue de soutenir ce regard tandis que le vieux plisse les yeux, sûrement dans une tentative de scanner ses intentions. Mais pas de chance pour Monsieur Grumpy, Mod en est pas à son premier mytho. Si il y a bien un truc qu'il a apprit au long de sa carrière c'est que les meilleurs mensonges sont ceux qui ne tremblent pas. Et faut croire que son expérience paie car le vieux finit par se lever. "Let me grab my wallet..." qu'il marmonne. Il se lève non sans effort et se dirige dans l'arrière boutique laissant seuls les deux ados. Mod se tourne vers la jolie brune, il peut voir Zeus oeuvrer dans ses yeux. "What now? You asked me to participate, here's my participation. Thank me later when homie gives us 200 dollars." La fin justifie les moyens non ? Elle devrait le savoir, c'était exactement comme ça qu'elle lui avait permis de rentrer dans la catégorie des 'sexuellement actifs'.