wish you were gay (adriel)

— teen attitude, teen problems.


Des heures que sa mère est prostrée, noyée par son chagrin, par les larmes qui s’écoulent de ses yeux à la vitesse des chutes du Niagara. Du haut de ses cinq ans, il ne comprend pas grand-chose, Adriel, si ce n’est que son père est parti avec une valise, qu’il lui a dit adieu, à jamais mon fils, prend soin de ta mère. Ce qu’il essaie de faire, mais pour l’instant, c’est un échec cuisant. Il n’a pas réussi à lui tirer un mot, pas même un regard alors qu’elle se vide devant lui. Et ça lui fait peur, de voir sa douce maman perdre pied comme ça. Il a envie de pleurer, lui aussi, de crier de toutes ses forces, mais pas sûre que ça la réveille. Alors il se retient, garde ses peurs pour lui, réfléchis, essaie de trouver un moyen de ramener un sourire sur ce visage qu’il aime tant. Et d’un seul coup, la solution lui apparaît, comme une évidence. Il monte au grenier, plonge dans la malle à déguisement, à la recherche de la perle rare, ce costume qui lui mettait des paillettes dans les yeux, mais que son père avait banni de ses jeux, le dégout au fond des yeux la première fois qu’il avait vu son fils le revêtir. Pourquoi tant de haine, Adriel ne le comprenait pas, trop jeune pour comprendre les enjeux de ce qui n’était pour lui qu’une plaisanterie, une blague partagée avec jolie maman. Mais papa n’est plus là pour le gronder, et il sent au fond de lui, que ça pourrait marcher, que ça pourrait sortir maman de sa torpeur qu’il était parti. Alors il enfile la robe rose à paillette, au jupon de tulle, pose le diadème sur sa tête, et redescend les escaliers aussi vite qu’il le peut, tout en essayant de ne pas rater une marche. Il court vers la chaine hi-fi, lance le cd préféré de sa mère, qui ne quitte jamais le lecteur. La Belle au Bois Dormant, les notes de Tchaïkovski qui resonne dans le salon. Il se place devant elle, commence à faire des courbettes, tourne sur lui-même, place ses jambes, ses bras comme il a vu les danseurs le faire des centaines de fois sur la télé. « Regarde maman, je suis une princesse ! » Miracle, ça marche. Elle lève les yeux, les pose sur lui, et enfin, à travers la pluie, un rayon de soleil. Son rire qui résonne, c’est la plus douce des mélodies qu’il lui ait été donné d’entendre, ça lui réchauffe le cœur, et il rit avec elle. Elle se lève de la chaise, vient le prendre dans ses bras, le serre de toutes ses forces, et il se laisse aller contre elle, vient enfouir sa tête dans son cou, sourire aux lèvres, heureux de retrouver sa chaleur, sa douceur. « Mon petit ange… Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Promis, maman va se ressaisir. »


Du haut de ses dix ans, il ne comprend pas bien où est le problème avec son déguisement de carnaval. C’est sa mère qui l’a choisi pour lui, mais il l’a tout de suite adoré. En bon fan de Disney, il n’a pas su retenir sa joie et son excitation devant la réplique de la robe d’Elsa, la reine des neiges. Et puis, voir ce sourire éclairer le visage de sa mère à chaque fois qu’il s’habille en fille, ça a le don de faire s’envoler le moindre doute qui peut le traverser, la peur du regard des autres. Il n’a jamais vraiment bien compris pourquoi sa mère préférait le voir en jupe, mais ne s’est jamais formalisé, tant que ça la rend heureuse, il ne se pose pas de question, fait tout pour lui faire plaisir, pour alléger son quotidien devenu plus que compliqué depuis que son géniteur s’est fait la malle avec la secrétaire, et qu’ils se sont retrouvés tous les deux seuls contre le monde, dans cette nouvelle ville. Et puis, jusqu’à présent, il n’avait jamais eu de problème. On pardonne toutes les excentricités du monde à un enfant. On se dit qu’il ne comprend pas encore bien ce qu’il se passe, qu’il s’amuse, qu’il essaie de faire une blague. Mais passé un certain âge, les regards changent, on sent qu’on n’entre plus dans la norme pré établie, qu’on dérange, que ça pose problème. Et le pire, c’est les autres enfants. Cette bande de caïds qui veulent se la jouer gros durs, comme les grands, du haut de leurs douze ans. Dernière année de primaire, ils se prennent pour les rois du bac à sable, l’attendent au coin de la rue à la sortie des cours. « Alors la tafiole, t’es pas trop à l’étroit dans ta robe de princesse ? » Les ricanements alors qu’Adriel baisse les yeux, cherche une porte de sortie alors que le petit cercle se referme sur lui. La confrontation, ça n’a jamais été son fort, plutôt du genre à fuir dès que possible, à s’enfermer dans sa bulle, laisser les remarques ricocher contre la paroi, plutôt que de se laisser atteindre. Mais là, il n’a pas le choix, aucune échappatoire à portée de main, et son silence, son air apeuré ne fait qu’attiser la haine qui les habitent. On le bouscule, on agrippe la robe, puis c’est le premier coup qui part, puis un suivant. Il se retrouve vite à terre, se protège la tête de ses bras, attend que ça passe, en espérant qu’ils se lasseront assez vite. Il perd toute notion du temps qui passe, enfermé dans sa bulle intérieure, jusqu’à ce qu’une voix résonne. Une fille, une gamine qui doit avoir le même âge que lui, mais clairement plus de couilles. Elle hurle, et les autres partent en courant, l’abandonne au sol, l’écho de leurs railleries résonnant encore dans la rue. « Ca va ? » Il relève la tête, et elle est là, à le regarder avec ses immenses yeux clairs. « Moi c’est Abi. Elle est belle ta robe. » Les lèvres qui s’étirent en un sourire alors qu’il essuie ses larmes d’un revers de manche, étale sans s’en rendre compte le sang qui coule de son nez. « Moi c’est Adriel. Merci pour… De les avoir fait partir. » Reconnaissance éternelle pour ce petit bout de fille qui allait allumer des étoiles dans sa vie.