Bad reputation (Kado)

« Désolé » tu gémis en soupirant. Vous pouvez essayer encore et encore, tu finiras toujours par foirer la chorée. Et pourtant, tu fais bel et bien partie de cette équipe de cheerleader. Tu te demandes encore pourquoi. Tu n’as rien en commun avec ces filles toujours souriantes, à la queue de cheval impeccable, populaire et intelligente, qui sont capable de faire un salto arrière en claquant des doigts. Ce n’est pas ton monde, c’était celui de Violet, et pourtant, aujourd’hui, tu ne sais plus trop bien où commence ton univers et où se termine le sien. Tu vis sa vie, par procuration, et tu n’es même pas vraiment douée pour ça. Parce que tu as beau essayer, très fort, d’être aussi bien qu’elle, tu n’y arriveras jamais, Kali, vous étiez trop différentes, et Violet, elle était unique, elle le sera toujours. L’entrainement prends fin et tu as mal partout, littéralement, tu découvres même l’existence de certains muscles, et ça te déprimes. Tu es une fille à canapé, pas à salle de sport, ce n’est pas ton truc, et tu détestes faire tant d’effort physique pour rien. Tu attrapes ta bouteille d’eau pour la vider à moitié et ça te fait un bien fou. Tu te diriges vers les vestiaires avec les filles quand l’une d’entre elle, penchée sur son téléphone, ouvre la bouche en grand, dans une expression exagérément choquée. Violet, elle a toujours eu une place importante, dans cette équipe, et pour ces filles, c’est peut-être pour ça, d’ailleurs, qu’elles t’ont accepté si facilement. « Il parait que c’est le père d’Adonis qui a renversé Violet. » qu’elle dit en te mettant son téléphone sous le nez, et en effet, c’est bien écrit, sur twitter, en moins de 280 caractères. Adonis King est un connard, comme son meurtrier de père, voilà ce qui est inscrit. Et toi, ton sang, il ne fait qu’un tour. Parce que les gars comme lui, qui prétendent être parfait, qui marchant dans les couloirs du lycée comme en terre conquise, ça te debècte, et ce type, avec sa gueule d’ange, il vit bien tranquillement sa petite vie, avec ses amis, avec toutes ces filles, à ses pieds. Il a tout, et il t’a tout pris. Lui, son père, même combat. Tes doigts se resserrent, sur le téléphone portable, et tu n’écoutes plus rien, tu repasses cette nuit, en boucle dans ta tête. Ton père qui te réveille, son visage bercé de larme, et le sac mortuaire, le procès, l’enterrement. « Kay ? ça va ? » qu’elle te demande, la fille au téléphone, et tu lui souris, hoche la tête et lui rends son IPhone. La conversation a déjà changé. C’est une rumeur, après tout, et au lycée, il y en a des dizaines par jour. On va parler de ça pendant une semaine, peut-être, et ce sera de l’histoire ancienne. De toute façon, qui s’attaquerait au grand King ? Il est intouchable, lui et sa précieuse petite clique. « Je reviens. » tu dis, en tournant la tête vers le terrain de football. Visiblement, l’entrainement se termine. Ton sac sur le dos, tu te diriges vers les membres l’équipe de foot, la mâchoire serrée, et finalement, tu croises son regard. Il n’a pas les yeux bleus, et pourtant, il a exactement le même regard que son père, légèrement en amande, presque malicieux. Il lui ressemble, tu ne vois que leurs points communs, toi qui n’avait jamais fait le rapprochement. Quand tu arrives à leur niveau, certains des sportifs te saluent, tu les ignores. Il y a un an, ils ne t’auraient pas adressé la parole, mais l’uniforme, ça excite, il faut croire. « King, faut que je te parle. » tu dis, froide, tu as envie d’hurler, de le frapper, de le détruire, de le tuer. Et pourtant, tu restes calme, encore quelques instants.

les gouttes de sueur qui ruissellent le long de tes tempes. le goulot de la bouteille d'eau que tu portes à tes lèvres pour en boire le contenu. l'odeur de la transpiration dans les vestiaires qui vient se loger dans tes narines. le chahut des gars autour de toi. quelques tapes sur l'épaule des autres joueurs pour saluer ta performance, pendant l'entraînement. y'a un fin sourire qui se dessine sur le coin de tes lèvres. simple geste de remerciement. faut dire que l'entraînement, c'est un bon moyen de commencer une journée. un bon moyen de se dépenser. de se booster pour le reste de la journée. faudrait il encore que ça ai marché pour toi. depuis les confessions de ton père tes pas forcément à l'aise au lycée. pas forcément dans ton assiette. le pire dans l'histoire, c'est que tout ça se sait maintenant. y'avait qu'à voir la feuille de papier qu'on avait gentiment glissé dans ton casier. les menaces et les insultes qui fusaient, sur cette lettre. tout ça, tu peux plus l'éviter. va falloir que tu te promènes avec une étiquette collée sur le dos. une étiquette de meurtrier. meurtrier que t'es pas, en plus. fallait que tu portes la casquette à la place de ton père. ton père biologique. celui que tu ne considère même pas comme tel. et malgré tout ces drames tu sais rester fier. quand les gars viennent te demander si ça va, t'approuves. sans même réfléchir. sans même laisser place au doute. sans même qu'ils puissent se douter que dans le fond, ça va pas. t'es fort, tu l'as toujours été. c'est qu'une épreuve en plus à surmonter. un putain d'obstacle à détruire. les rumeurs au lycée, ça a toujours été comme ça. une fois lancé, ça te colle au cul pendant quelques jours. qu'elles soient vraies ou pas. les gens essaient même pas de comprendre ton point de vue. les gens prennent même pas le temps de t'écouter alors que tu cherches à te défendre. alors quand ils ont su qu'adonis, ou plutôt le père d'adonis, était responsable de la mort d'une ancienne élève de wave private, ça t'es retombé dessus. forcément, c'était évident. de toute façon, au lycée, y'a toujours des gens qui essaient de faire tomber tout le monde. surtout toi. surtout les penetrators. alors dés que ces gens là ont un moyen de retirer un des piliers qui retient le temple de votre fierté, ils le font. par simple jalousie. parce que toi et les gars, vous avez votre réputation. parce que pas mal de gens vous apprécient. parce que vous mettez l'ambiance n'importe où. n'importe quand. parce que vous êtes un peu les rois du bahut. l'équipe de football américain qui représente le lycée. qui est en quelque sorte sa fierté. toujours sollicitée par les profs, la direction. le groupe de gars qui a un tas de nanas à ses pieds. qui a sa réputation. bonne comme mauvaise. les gars que tout le monde connaît. à cause d'un stupide bouche à oreille ou simplement parce qu'un soir, ils étaient à la même soirée. mais parce qu'aujourd'hui on a décidé de te coller la même étiquette que celle de ton père, les regards changent. légèrement. parce que les gens vous regardent toujours avec une certaine admiration. vous avez tous vos petits secrets, le tien a été dévoilé. vous traversez les couloirs avec un sourire sur le coin des lèvres. comme si rien ni personne ne pouvait vous arrêter. même pas une vulgaire rumeur comme celle-ci. intouchables comme jamais. alors vous vous arrêtez sur un banc, dans un coin du couloir. « ah ouais, pour la soirée de samedi, on la fera chez moi. les king seront de sortie, on aura personne dans les pattes. les loups seront de sortie. » tu balançais ça pour rompre le silence. alors que les gars lâchaient leur cri de guerre. y'a des têtes qui se tournaient vers vous alors que t'éclatais de rire. t'en avais presque oublié ta galère du jour jusqu'à ce qu'une brune débarque en furie vers vous. apparemment, certains des gars la connaissent. ils la saluent alors qu'elle s'avance vers toi. faut qu'elle te parle, apparemment. tu relèves les yeux vers elle sans trop comprendre. « bah parle, je t'écoute. à moins que tu préférerais qu'on s'éloigne ? » tu l'observes curieusement jusqu'à ce qu'elle balance ce qu'elle à a dire. le sourcil arqué, t'as presque envie de rigoler. t'es con, drôlement con. mais c'est pas banal qu'on vienne t'aborder comme ça.

Le jour et la nuit, les sœurs Valente, et pourtant, vous étiez proches, malgré ce qu’on pouvait dire.  Elle avait ses amis -très nombreux- et tu avais les tiens -Léo et Ulysse-. Malgré tout, le soir, vous étiez toujours fourré l’une avec l’autre. Quand il y avait de l’orage, elle venait dans ton lit. Quand tu faisais un cauchemar, tu allais dans le sien. Quand on t’embêtait, à l’école, elle prenait ta défense, elle t’aidait avec les devoirs, faisaient même ses derniers, parfois, pour que tu n’aies pas de trop mauvaise note. Et vous vous couviez, quand elle faisait le mur, quand tu cassais un énième vase. Liée comme des sœurs. Et tu n’arrives pas à ne pas imaginer tout ce que vous auriez pu vivre, ensemble. Tu te voyais déjà passer trois heures dans une boutique de robe de marié, à la voir essayer dix tenues magnifiques, râlant, mais étant fière. Tu la voyais déjà garder des enfants et les gâter. Tu l’imaginais a soixante-dix ans essayer de te convaincre de faire du botox. Tu voulais grandir avec elle, mais toute tes rêves, ils sont partis en fumée, brusquement, l’espace d’une nuit, d’une fête, d’une voiture, d’un accident. A cause de lui. Lui qui rit avec ces amis, comme si tout allait, comme si le monde tournait encore droit, alors que la présence de Violet, elle flotte encore dans les couloirs. Parce qu’elle illuminait le lycée, à la tête de ses cheers, au bras de Nate, avec Prim, Liv et Silène. C’était un soleil, Violet, et aujourd’hui, tu as l’impression de vivre continuellement sous la pluie. Mais lui, lui il est toujours au soleil, lui il a oublié, il ne se rends pas compte de ce qu’il a fait, de ce que son père a fait. Si tu n’étais pas si énervé, tu essaierais de comprendre, de comprendre que lui, il n’y ait pour rien, qu’il n’a surement pas parlé à son père depuis longtemps -parce que comme tout le lycée, tu connais l’histoire des King- mais rien ne tourne rond, dans ta tête, en ce moment Kali.  Tu ne vois que ce type, favorisé et populaire, lui et son équipe de muscles sans cerveau, et ça te fait du bien de rejeter toute la responsabilité sur lui, même s’il n’y est pour rien, finalement. Alors, quand tu le vois, au détour d’un couloir, tu ne peux pas t’en empêcher, tu t’avances, droit vers lui, sans même t’intéresser à ce que tes amies te disent. Tu ne vois que lui, lui et son sourire de petit con superficiel, lui qui semble tellement heureux. Quand t’arrives devant lui, il te regarde, interloqué, et t’es presque sur qu’il ne sait pas qui tu es, ça t’énerve encore plus. Il ne pense qu’à lui, ce type. « Tu veux que j’parle devant tes potes, t’es sur ? Parce que je pense que même s’ils t’adulent comme un dieu, ils ne seront pas vraiment ravis de savoir que t’es un putain de connard. Alors je sais pas, c’est comme tu veux, on peut parler de ton ADN de dégénéré devant eux, ou ailleurs. » tu croises les bras, t’y es allée fort, trop fort, et dans moins de dix minutes tu t’en voudras horriblement, tu le sais très bien. Pourtant, en ce moment, tu ne peux pas être plus honnête, tu veux qu’il souffre comme Violet a souffert, comme toi, tu souffres, depuis un an maintenant.