our time is running out (alix)

maman, maman, pourquoi moi ?
qu'est-ce qui cloche exactement ?

parfois les questions resurgissent encore. au milieu de la nuit, dans le noir, bercé par le silence ou par une respiration non loin. t'essayes de passer outre, de fermer les yeux, de les chasser loin, si loin. ça te hante souvent, ça.
est-ce que t'as le droit,
est-ce que t'es légitime ?
et si c'était juste une phase,
une période,
comme beaucoup le sous-entendent ?
et si c'était une erreur ?

et toi, t'es qui, en fait ?
t'es quoi ?
quoi, qui, comment,
pourquoi ?
maman n'a pas semblé choquée quand tu as osé en parler. quelques mots soufflés, hésitants, les sourcils froncés, les bras croisés contre une poitrine trop présente et trop gênante. le mal-être au fond des veines avec l'envie d'y arracher une quelconque identité. trop de questions. de doutes. et tu n'aurais jamais pensé que ta mère serait si, si compréhensible face à tout ce que tu as pu lui confier, une fois la discussion lancée, une fois les larmes au bord des yeux et des lèvres.
tu ne sais plus exactement depuis combien de temps ça te bouffait, tout ça.
mais est-ce que ça te rend plus légitime ? un soupir sur le bord des lèvres,
tu fixes le plafond.
comme souvent,
comme toujours.

tu distingues la respiration de ton beau-frère dans la pièce, et tu récupères ton téléphone pour t'éclairer et sortir de la pièce. un soupir t'échappe, et tes pieds nus glissent contre le parquet de la maison, annoncent une nuit sans sommeil.

tu sais mon chéri,
l'amour c'est compliqué.
prends soin de ton cœur, surtout.

ça, tu l'as bien compris. c'est compliqué
et c'est encore plus compliqué,
quand on rentre pas dans la norme des gens.
un soupir glisse bien souvent de tes lèvres, ton regard se pose un peu plus loin, détaille les silhouettes, une silhouette. tu ne saurais dire depuis combien de temps, tu te prends à l'esquisser sur ton carnet, depuis combien de semaines est-ce que tu poses ton regard sur le brun. le brun. tu as toujours été attiré par les garçons, après tout. qu'est-ce qui cloche maintenant et qui ne clochait pas avant ?
les gens.
encore et toujours les gens.

toi ton esprit divague, s'attarde sur les gens, sur la beauté à l'intérieur, sur les sourires et les rires, pas sur le reste. tu t'attardes sur un sourire en particulier, une peau matte (plus que la tienne, en tout cas) et des prunelles couleur chocolat. tu t'attardes sur des sourires observes du coin de l’œil dans les couloirs du lycée. tu as affiné tes traits en l'observant, assit un peu plus loin sur le côté dans un cours un autre. les minutes sont passées bien trop rapidement et tu as plus souvent détourné le regard de peur de te faire prendre.
dans tous les cas,
tu ne comptes plus ni les croquis,
ni les pensées déroutantes.
et encore moins les mots parfois glissés à ta mère, un peu incertain, à ne pas savoir quoi faire. tu n'oses pas, tu n'oses pas t'approcher, esquisser un sourire, souffler quelques mots.

et c'est sans doute bête,
mais tu préfères rester là,
planté là un peu plus loin,
que de prendre le risque de t'attacher, de sourire, de sentir ses doigts glisser contre les tiens et son souffle non loin de ton visage. parce que ça pourrait être beau, ça pourrait se transformer en histoire, qui sait ?

mais tu ne veux pas prendre le risque d'avoir le cœur brisé,
quand il saura. et qu'il trouvera ça bien trop déroutant ou bien répugnant.