il parle tous comme des animaux.

— teen attitude, teen problems.

- On peut pas venir à ton anniversaire, ma maman elle dit que ta mère elle boit.
- Ah ouais ? Moi ma mère elle a dit que ta "maman" c'est une traînée.

Traînée, traînée, traînée.
C'est qui finalement la traînée ?
C'est bien la tienne, de mère, Betty, hein ?
On a vu autant de bites défiler chez vous qu'à la gay pride.
Ta mère, finalement, elle a jamais su trop faire grand chose à part picoler et se faire ramener jusqu'à sa chambre. Au moins, quand elle était avec un mec tu pouvais te dire qu'elle était bien rentrée à la maison. Pas crevée quelque part. On peut pas dire que ça aurait été une grosse perte, cela dit...

T'es étonnée qu'elle soit pas tombée enceinte plusieurs fois, étonnée que t'ais pas une tripotée de frères et soeurs de pères différents. T'aurais bien aimé, t'aurais été moins seule, mais nan, une fois mais pas deux, elle te l'a toujours dit. Elle disait "Betty, une fois ! Mais pas deux, j'te jure. Plutôt mourir. "
Et quand elle dit plutôt mourir, ta mère, elle déconne pas hein. Elle se crève à petit feu. On a rarement vu quelqu'un aussi déterminée à faire de sa vie un échec, c'est vrai, on peut au moins lui admettre ça. Une détermination comme on en fait peu, ta mère.

T'as appris très vite à te débrouiller toute seule, à piquer dans son porte-monnaie pour faire des courses, à te faire réchauffer des boites de conserve, à faire ton sac, tes devoirs, à lacer tes chaussures, à aller à l'école et prendre le bon bus.

Dans votre maison, vous avez toujours eu un piano. C'était celui de grand-mère. T'as appris jeune à jouer dessus. Ta mère elle disait " Joue, Betty, ça te sauvera peut-être... " et elle a raison, ça te sauve. Tous les jours. Parfois la nuit elle te réveille, elle se pose à côté de toi, elle presse ton épaule et l'odeur de gin te réveille. Elle fait " Betty, joue moi quelque chose, je n'arrive pas à dormir, " et tu te lèves, tu descends dans le salon, tu t'installes, et tu joues. Elle s'allonge sur le canapé, elle avale un mélange de Xanax et de Léxomil. Le temps que les bonbons fassent effets elle pleure, puis elle s'endort. Et tu retournes te coucher.

T'as fêté une grande partie de tes anniversaires toute seule, les parents dignes de ce nom laissaient pas leur gamin venir, ils avaient trop peur de comment ça pourrait finir. T'as fini par ne plus les fêter. C'est plus simple.

***

- T'es une sacrée emmerdeuse, tu le sais ça ?

Ça te fait sourire, une flamme s'allume dans tes prunelles, comme une bougie d'anniversaire. C'est Becks. Tu ris légèrement alors qu'elle te tire la langue.

- Allez Becks, fait pas ta mijaurée, j'te jure, ça va être marrant.

Tu sais pas bien comment ça a commencé entre vous, mais sans elle... Ce serait pas pareil, c'est clair.
De ton groupe de copines, c'est bien toi la plus crainte, cela dit. Becks elle est douce, plus docile que toi, même si c'est loin d'être une conne. T'aimes sa patience. Sa grâce. Elle danse bien. Et puis, sa loyauté. Toi l'abandonnée, la non désirée, une amie comme ça tu sais ce que ça coûte. Tu serais prête à tout.

La trahison c'est bien la pire chose qu'on puisse te faire, Betty, hein. Emmerdeuse ouais, vraie de vraie, cent pour cent. Vue comment t'as été conçue, ça aurait été bizarre que tu ne sois que grâce et douceur, nan, toi, t'es plutôt une dure à cuire, la nana en colère à qui on vient pas trop chercher des noises. On aime ton franc parler autant qu'on le redoute. T'as la blague facile, l'esprit vif, mais tes mots sont acérés comme mille lames de couteaux. Rancunière, Betty, avide de justice, aussi. Tu comprends pas pourquoi les gens font ce qu'ils font, pourquoi ils se comportent tous comme des sauvages. Tu comprends pas pourquoi t'as pas eu le droit à la mère modèle avec le père présent, le joli jardin et le labrador. Tu comprends pas pourquoi les services sociaux ont gobé les bobards de ta génitrice. Ah ça, quand on la menaçait de lui couper les aides elle savait arrêter de boire, mais ça durait jamais, forcément. Chasser le naturel....
Toi le naturel tu l'as pas mal enfoui, sous ton lit. Quand t'étais petite, seule, la nuit, tu jouais à être forte et à pas pleurer. Maintenant t'y arrives, tu ne pleures plus.

Tu trouves ton salut dans la musique, c'est tes doigts sur ton piano qui te révèlent. Y a pas que ta mère sous anxyo que t'as réussi à faire chialer, nan. A croire qu'ils comprennent tous, une fois qu'ils t'ont écouté.