(( xanny to feel better )) (délai 04.07)

— teen attitude, teen problems.
(((écran noir. respirations haletantes. grésillements sur la ligne. il décroche. j'arrive.)))

elle étalait sur ses ongles la même couleur rouge qu'elle portait sur les lèvres. ce rouge si représentatif. indissociable. elle le faisait avec attention. minutie. peintre de la kératine. si on le prenait d'un point de vue littéral, elle avait toujours su masquer ses cornes. lion n'était pas ami avec elle. du moins, pas avec la version qu'elle divulguait, pas celle qu'elle faisait découvrir aux autres, qu'elle laissait dégouliner dans les manucures qu'elle offrait de temps à autres, entre deux commérages. elle n'avait rien à voir ou à faire avec lui. deux entités appartenant à des univers différents et distants, qui se retrouvaient pourtant seuls dans cette chambre trop grande, sous le halo tamisé d'une lumière de chevet. à discuter. enfin, elle était surtout en plein soliloque, vomissait ses rumeurs et autres on-dits sur les draps propres de lion qui n'y prêtait pas attention une seule seconde. dans l'affaire, elle ne lui demandait jamais plus que de lui prêter sa main, qu'elle s'amusait alors à décorer avec le premier vernis qu'elle saisissait. lion en avait la plus belle collection. elle venait toujours chez lui sans prévenir. et il lui claquait toujours la porte au nez (pour quelques secondes). ce n'est pas qu'il n'aimait pas la voir elle. spécifiquement. c'est qu'il n'aimait voir personne. surtout pas les après-midis d'été. surtout pas après tout ce qui s'était passé dernièrement. mais elle s'accrochait toujours à lui, comme un parasite. ou comme on essaie de saisir la table quand on tombe de sa chaise. comme la corde ressert la poutre dès que le corps se largue. elle le saisissait avec la même force. le même réflexe. à chaque faux pas, à chaque chute, c'est comme ça qu'elle essayait de rester suspendue, avec pour espoir tacite de retrouver ses appuis. il n'y avait pas plus stable que lion, en même temps. elle le savait. lion la tour immobile, impassible. lion la mère, celle qui la gardait dans la famille. le vaisseau. la sororité nocturne. la secte. c'est tout ce qui comptait, rester dans ce cercle, faire partie du vortex. être au centre de la tempête, dans l’œil du cyclone. être avec eux et regarder le monde tourner en roulant des yeux. lion était son seul espoir d'y rester. de survivre au jeu social, qu'on fasse un minimum attention à ses faux sourires, à ses fausses fausses-fourrures, à ses fous rires surfaits. la loyauté du gamin le tuerait. elle s'est toujours prise pour une élue divine, depuis qu'on lui avait autorisé une nuit dans le club. elle n'en était plus jamais ressortie.

elle avait peut-être vu trop de choses, à traîner dans ses pattes. on pouvait aujourd'hui difficilement se débarrasser d'elle. elle avait cette habitude sonore de mâcher son chewing-gum à intervalles régulières et manufacturées, c'est comme ça que lion s'était rendue compte de sa présence, sur la scène de crime ((première perte d'équilibre pour elle)), alors qu'umberto se débarrassait de la carcasse d'un obstacle aux affaires parentales. elle avait alors fait face à ce même lion, un verre de grand cru à la main (umberto le laissait boire, quand papa maman n'étaient pas là), l'arcade qui saignait tranquillement. rivière douce qui traversait le bleu mauve noir d'une ecchymose sur sa paupière lourde. elle a failli y passer elle aussi. une tentative de kidnapping ou d’assassinat vengeur par semaine c'était déjà bien suffisant. mais c'était une amie, avait-il dit. une amie de l'école. elle avait eu droit à un traitement de faveur. un regard noir, appuyé. une menace. une discussion brève, un rentre chez toi, il est tard sur le ton habituel et caractéristique de lion. calme. ferme. semi-monotone. il en disait trop pour être qualifié d'inexpressif. peut-être qu'il finissait toujours par la laisser entrer seulement pour garder un oeil sur elle. pour qu'elle n'aille parler à personne d'autres. elle était son erreur. sa création. de ce qu'il avait pu voir, sa vie de famille n'était pas rose et sous les paillettes qu'elle se collait sous les yeux se cachaient des années de cauchemars et d'insomnies. parfois même les couleurs qu'arborait lion cette nuit-là sur l’œil. parfois les paillettes n'étaient en réalité que des éclats de verre. lion était peut-être ami avec celle-là. sous le grimage. sous les artifices. celle qui avait vraiment besoin de réconfort.

il ne sait pas qui des deux était pâle entre ses mains, dans le froid qui commençait à murmurer la fin de l'été. qui des deux saignait (le même rouge que sur ses lèvres) entre ses doigts, sur le sol lisse de la piste de danse. mais c'était bien la plus vulnérable qui forçait une larme de ses grands yeux noirs (il faisait sombre sous les néons), lorsque les siens se figèrent dans le vide. voix calme ferme semi-monotone qui déraille. expressive. il y a son téléphone dans sa poche. il ne peut pas le prendre les mains comme ça. prenez-le, et appelez le numéro d'urgence. autour d'eux, les figures célestes de la troupe déchue.